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Après 55 ans d’enquête sur la mort de Ben Barka, toujours les mêmes questions

Pour Maurice Buttin, la disparition de Mehdi Ben Barka est "l'affaire de toute une vie". A 91 ans, cet avocat…

Pour Maurice Buttin, la disparition de Mehdi Ben Barka est « l’affaire de toute une vie ». A 91 ans, cet avocat saisit toutes les occasions pour poser inlassablement les mêmes questions, sans réponse depuis l’enlèvement du célèbre opposant marocain, le 29 octobre 1965 à Paris.

« Qui a tué ? Qu’est devenu le corps ? Mon combat, c’est d’apporter ces réponses à la famille », explique à l’AFP celui qui représente la famille Ben Barka depuis 55 ans.

« C’est un combat de justice et de vérité », dit avec force cet homme engagé qui connaît sur le bout des doigts l’histoire du Maroc où il a grandi et fait ses premières plaidoiries en défendant des militants nationalistes.

Au moment de sa disparition, le principal opposant d’Hassan II (1961-1999), chef de l’opposition socialiste et figure de l’Internationale socialiste, vivait en exil, frappé par deux condamnations à mort par contumace au Maroc.

Le militant de 45 ans a été vu pour la dernière fois devant un drugstore du boulevard Saint-Germain à Paris où il avait été attiré sous prétexte d’un rendez-vous pour un film sur la décolonisation.

– « Toujours rien » –

En 1966 et 1967, les procès-fleuve en présence de plus de 200 témoins ont permis d’établir que son enlèvement avait été planifié par les services secrets marocains du +Cab 1+ avec la complicité de policiers et de truands français. Les principaux suspects, jugés par contumace, ont échappé à la justice. La famille a déposé une nouvelle plainte en 1975.

Les dix juges d’instruction successifs de la plus longue enquête jamais menée en France n’ont pas réussi à lever la chape de plomb qui entoure cette affaire d’Etat. Et la famille Ben Barka s’interroge encore sur les responsabilités de la France et du Maroc ou même d’Israël et des Etats-Unis.

Pendant des années, Maurice Buttin a « fait toutes les bibliothèques et épluché les archives des uns et des autres » en quête du moindre indice. Il ne lâche pas, même si « après 55 ans d’enquête, on ne sait toujours rien sur ce qui s’est passé ».

Infatigable, cet homme robuste au front couronné de cheveux blancs s’est déplacé fin février à Rabat pour marquer le centenaire de la naissance du militant internationaliste. Au programme, conférence de presse et dédicace de son livre « Ben Barka, Hassan II, De Gaulle, ce que je sais d’eux ».

Plusieurs hypothèses macabres entourent le destin de Ben Barka: coulé dans du béton près d’une autoroute. Découpé en morceaux, dissous dans une cuve d’acide, jeté dans la chaux. Enterré en région parisienne sous la mosquée d’Evry.

Le journaliste français Joseph Tual qui a enquêté pendant plus de 30 ans sur l’affaire soutient que sa tête a été rapatriée au Maroc, présentée au roi Hassan II et enfouie dans une ancienne prison secrète de Rabat.

Le journaliste israélien Ronin Bergman, auteur d’un livre-enquête sur les opérations du Mossad, assure pour sa part que les services secrets israéliens ont, à la demande des Marocains, aidé les tueurs à se débarrasser du corps.

Pour Me Buttin, le roi Hassan II a donné l’ordre de ramener de force l’opposant au Maroc, après une vaine tentative pour le faire rentrer de plein gré.

« Il n’a pas donné l’ordre de le tuer, mais il est tout de même coupable de sa mort, provoquée par une bavure de ses ravisseurs », avance-t-il.

Pour lui, l’enquête est restée bloquée parce qu’au Maroc, « le statut de droit divin (du roi) rend impossible toute forme de critique ».

– « Rabat sait » –

« Seul Rabat sait la vérité, mais ceux qui savent refusent de parler », regrette-t-il. Et avec le temps, « presque tous ceux qui ont été impliqués dans l’enlèvement sont morts ».

Restent encore, selon lui, un agent français, Antoine Lopez, « qui a perdu la tête » et « deux Marocains qui vivent à Rabat » en toute tranquillité.

Miloud Tounsi, soupçonné d’être l’agent du Cab 1 opérant sous l’identité de Larbi Chtouki pour coordonner l’opération, et le général Hosni Benslimane, ancien chef de la gendarmerie royale qui officiait à l’époque au cabinet du ministre de l’Intérieur Mohamed Oufkir, n’ont jamais été inquiétés par les mandats d’arrêt lancés contre eux en 2007 par la justice française.

Côté français, aucun dossier, y compris ceux déclassifiés, « ne contient de réponse sur les circonstances de la disparition du corps et du décès », selon Me Buttin. Mais les documents pas encore déclassifiés « pourraient permettre de connaître le niveau des complicités » en France, selon lui.

« Tant que Dieu me prête vie, je continue », explique l’avocat avec un grand sourire. Retraité depuis 15 ans, il ne plaide plus mais reste actif sur ce dossier « par fidélité » pour la famille, par « idéal de justice ».